PEGGY-JEANNE, Le poker des fées
Niki Vered-Bar

Avoir de la suite dans les idees des autres

Chapitre 8

Peggy-Jeanne réussit à éviter Zoé et Gustave toute la matinée.
Elle vagabonda le long des plages et s’octroya une chaise longue dans une plage privée, chère, très huppée et peu encombrée.
Elle se calcina au soleil en faisant un pied de nez à Zoé et à ses crèmes protectrices. Lorsqu’elle revint au Cocotier pour le repas de midi, son humeur était un peu moins à vif.
Elle demanda à monsieur Maurice l’autorisation de se brancher sur Internet afin de vérifier si elle avait reçu un courriel.
Chic ! Elle découvrit quelques lignes d’un message de Valentin. Lui aussi l’avertissait du retour de son frère Sébastien.
Gustave n’était pas encore dans la salle à manger et Zoé déjeunait avec ses parents.
Elle se dirigea vers une table libre, lorsque monsieur Kachaki lui fit signe :
— Asseyez-vous avec moi…
Pourquoi pas ? Elle déplia sa serviette, et suivit son conseil de commander des filets de rougets aux herbes.
« Ils les préparent très bien ici, c’est l’une des spécialités de la cuisinière. »
Elle parla peu pendant le repas, monsieur Kachaki fit les frais de la conversation.
Alors qu’elle entamait le dessert, Gustave arriva. Il la vit et se dirigea aussitôt vers sa table.

— Bonjour monsieur Kachaki, comment allez-vous ? Et toi Peggy-Jeanne, ça va ? Je t’ai cherchée ce matin, où étais-tu ?
— J’étais à la plage.
— Quelle plage ? Tu n’étais pas à « la nôtre » ?
— La nôtre ?

Elle voulut le scalper mais se retint.

— Tu es déjà bien bronzée. Zoé m’a dit que tu te mettais trop au soleil…
— Ah zut, elle m’énerve, mais elle m’énerve ! Qu’elle se mêle de ses affaires ! Et toi aussi tu m’énerves ! Je m’exposerai au soleil autant que je le veux, cela ne regarde que moi.
Gustave était atterré. Peggy-Jeanne avait parlé avec colère et il ne comprenait absolument pas la réprimande.
— Bien… Mais ne te fâche pas, je n’ai rien dit… dit-il, penaud comme un enfant grondé pour avoir renversé sa tasse de cacao.
Il bafouilla quelque dérobade et les quitta. Monsieur Kachaki se retenait de rire. Il n’aimait pas trop le jeune Gustave… (les petites fées l’approuvèrent !) et hocha la tête pour marquer à quel point il avait prisé l’emportement de la jeune fille.
Peggy-Jeanne avala le reste de son flan et se leva.
— Excusez-moi monsieur Kachaki, je n’ai pas été de compagnie très agréable…
— Nous avons tous nos petits soucis… J’ai apprécié la façon dont vous avez répondu au jeune Gustave.

Cela ne tranquillisa pas Peggy-Jeanne. Elle s’en voulait d’avoir été si dure : Gustave n’avait fait que se préoccuper de sa santé et elle l’avait envoyé culbuter sur les épines les plus acérées de la désillusion.
Elle avait également manqué de patience avec Zoé, ce matin. « Je ne vais tout de même pas m’énerver pour rien. » Un peu plus calme, elle se mit à sourire en se remémorant l’air contrit de Gustave lors de l’algarade.
« Il était chou ! » pensa-t-elle.

— Salut ma belle, tu vas mieux ?
Zoé venait aussi de quitter la salle à manger. Peggy-Jeanne émit un acquiescement estropié et informe.
— Tu vas te baigner ? demanda Zoé. Je vais à la plage de la Vaugrenier, j’y ai rencontré des jeunes très sympas, ce matin. Accompagne-moi, tu feras leur connaissance…
— Non, il faut que je fasse un peu de couture ; la bretelle de mon maillot de bain va lâcher. À propos, sais-tu où je pourrais me procurer du fil et une aiguille ?
— Demande à Maurice ou à Camille. Sinon, j’ai un petit bout de fil blanc, un petit bout de fil noir et une petite aiguille que j’emmène toujours en voyage, cela peut dépanner… Mais tu m’as dit que tu dois coudre la bretelle ? Ce n’est rien ça, cela ne te prendra que trois ou quatre minutes, pas plus. Tu pourras venir après. Je t’attendrai…
— Cela risque de prendre bien plus de temps que ça : je ne suis pas du tout douée en couture…
— Si tu veux, je peux le faire ? Je couds bien, moi…
Peggy-Jeanne la considéra avec reconnaissance. La scène de ce matin s’effaçait déjà. Surtout, elle avait horreur des travaux d’aiguilles et elle était si malhabile qu’elle craignait même de devoir s’acheter un nouveau maillot.
— Vraiment, cela ne t’ennuie pas ? interrogea-t-elle, soulagée.
— Du tout ! Je le ferai ce soir, dès que nous serons rentrées.
— Ce soir ? Ah non ! Je veux mettre mon maillot cet après-midi, l’autre est encore mouillé.
— Et alors ? Il séchera vite. Allez, viens…

Peggy-Jeanne se laissa entraîner, sans conviction mais, service-service, elle devait bien répondre à son appel.
À la plage de la Vaugrenier, elles ne virent pas les jeunes gens.
— Ils ont dû aller ailleurs…
— Tant pis, on trouvera d’autres mecs ailleurs, décida Zoé.
Peggy- Jeanne s’en moquait. Elle ne cherchait pas à draguer les garçons, elle avait envie de nager, de rêver et de se dorer au soleil, rien de plus. Elle sortait sa serviette de son sac lorsque Zoé l’arrêta :
— Que fais-tu ? On ne va pas rester ici tout de même, il y a que des vieux ! On m’a dit que sur l’une des plages, pas loin, on pouvait voir le groupe Schizo. Tu sais, ceux qui chantent « The Crush »…
Le nom ne lui disait rien.
— Ils passent quelques jours à Cagnes, continua Zoé. Viens, on va y aller.
Peggy-Jeanne se laissa entraîner à nouveau, sans envie. Elles allèrent d’une plage à une autre, sans qu’aucune ne satisfasse Zoé.
— J’en ai assez, décréta Peggy-Jeanne, je reste ici. Elle s’allongea à même le sable. Zoé resta indécise un court moment :
— Tu ne vas pas rester étendue ici ! Viens avec moi, je voudrais voir les Schizo, moi.
— Va où tu veux. Moi, je reste ici.
— Tu n’es pas chic ; tu ne vas pas me laisser seule…
Peggy-Jeanne était très douée pour les remords et se repentait déjà.
Finalement, elle proposa un accord. Elles resteront une heure sur cette plage, puis elle accompagnera Zoé où elle le désirait. « OK ! » fit celle-ci.

Elles nagèrent quelques minutes ; puis elles eurent soif. À la buvette, Zoé insista pour payer.
Enfin, Peggy-Jeanne put se laisser griller au soleil pendant que Zoé entamait une discussion avec un type très bronzé qui feuilletait un magazine sous le parasol voisin.
Leurs voix proches gênaient Peggy-Jeanne.
Elle aurait préféré le silence ou bien des voix anonymes qui n’auraient pas écorché sa rêverie.
L’heure passée, comme convenu, elle plia sa serviette et annonça qu’elle était prête.
— Attends un peu, ma belle, on est bien ici. Je te présente Pauli, il est joueur de tennis et fait des compétitions. Pauli, une amie, Peggy-Jeanne…
Elle serra la main du garçon.
— Tu veux rester encore ? Mais tu voulais voir les Schizo ?
— Les Schizo sont là ? demanda Pauli. Où ?
— Ils séjournent à Cagnes. Il paraît qu’ils viennent souvent par ici.
— Ils sont peut-être du côté de la plage du Loup. En passant à proximité, il y a à peine une heure, j’avais entendu de la musique ! Si vous y allez, je me joindrai à vous.
— Volontiers ! Tu viens ? fit-elle à Peggy-Jeanne, trop déconcertée pour refuser.
Ils allèrent d’une plage à une autre, sans apercevoir le groupe.
— Décidément, je ne trouve aucun de ceux que je cherche aujourd’hui, râla Zoé.
— Pas sûr, dit Pauli, et moi ?
Zoé rit un peu bêtement et le garçon lui confia quelque chose à l’oreille qui la fit s’esclaffer.
Peggy-Jeanne marchait derrière les deux autres. Elle regrettait de s’être laissé entraîner à la suite de Zoé. « Tout ça à cause de la bretelle de mon maillot. »
Pauli et Zoé décrétèrent de rester ensemble et de manger quelque chose à Villeneuve-Loubet.
— Reste avec nous, proposa Zoé, nous mangerons ensemble. Pauli connaît un endroit où on sert des spécialités niçoises et provençales.
— Oh non… Je préfère dîner à la pension, il y aura des beignets… !
— Des beignets ? C’est de la friture ! Tu ne devrais pas en manger, ma belle, c’est lourd et malsain !
— Mais c’est bon ! Et ce soir il y aura un spectacle après le dîner : le magicien Ozo viendra exécuter quelques tours.

Le Cocotier organisait de temps en temps des divertissements pour les pensionnaires.
Un quatuor de Villeneuve, par exemple, venait tous les quinze jours interpréter des morceaux choisis de musique classique. Quant au magicien Jean-Juste Ozo, il habitait tout près et venait souvent donner des représentations.
Zoé s’en moquait comme de l’an quarante, et demanda à son amie d’avertir ses parents qu’elle rentrerait tard…

« Et c’est moi qui raccommoderai la bretelle du maillot, se dit Peggy-Jeanne. J’aurais dû m’en douter plus tôt… »

baguette magique

Les petites fées la virent rentrer seule à la pension, le front voûté, la mine gondolée.
Elles tinrent un symposium exceptionnel.
— On n’aurait pas dû la laisser partir dans cette pension de famille, geignit Groseille.
— On ne pouvait pas prévoir qu’elle y trouverait des jeunes gens pareils !
— On devrait peut-être la faire rentrer… proposa Cerise d’une petite voix indécise.
— Ou bien l’envoyer dans un autre hôtel ?
— Tout est plein maintenant…
— Il n’y a plus une seule chambre de libre dans toute la région !
— La pauvre petite, comme elle semble malheureuse…

*

Pendant les tours de magie, Peggy-Jeanne se plaça à côté de monsieur Kachaki. Il avait dû décliner, avec regrets bien entendu, l’offre des deux frères de participer au spectacle : il souffrait beaucoup de ses lombaires ce soir-là et pouvait à peine se mouvoir.
(Tu parles ! Il n’avait trouvé que ce prétexte-là pour éviter de jouer les fakirs et d’être surpris en flagrant délit d’identité falsifiée !)
— Votre talent est sûrement supérieur à celui de monsieur Jean- Juste Ozo…
— Certainement…

Le vrai magicien s’en sortit avec brio. Il fit des tours de cartes, dégagea une colombe de sa poche, escamota une montre et un bracelet appartenant à une vacancière, restitua le tout avec, en plus, un bouquet de fleurs que la dame reçut en riant aux éclats…

Au courant de la nuit, Peggy-Jeanne se réveilla la bouche sèche, se leva pour boire une gorgée d’eau et ne put se rendormir. Le film de la journée se déroulait inlassablement, se fixait tantôt sur Zoé, tantôt sur Gustave, s’incurvait aux épisodes désagréables comme pour mieux les retenir.
Peggy-Jeanne se tournait et se retournait dans son lit, énervée, insensible aux berceuses et aux injonctions calmantes des petites fées.

baguette magique

— Encore une mauvaise nuit, soupira Mirabelle.
— Qu’allons-nous faire ?
— Je ne sais pas, mais il faudrait y penser !
— Oui ! Y penser sérieusement…
— Chhhht… Vous allez l’empêcher de dormir…

*


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