PEGGY-JEANNE, Le poker des fées
Niki Vered-Bar

"Ma belle…"

Chapitre 7

Le lendemain, Maurice remit à Peggy-Jeanne trois messages de Valentin qui étaient arrivés la veille. Il avait téléphoné ; il espérait qu’elle allait bien et ajoutait qu’elle lui manquait.
Immédiatement elle demanda la communication avec son cher Valentin : c’est sa mère qui répondit :
— Non, il est sorti. Tout va bien Peggy-Jeanne ? Vous n’avez pas pris votre portable avec vous ? Évidemment, un portable à la mer, ce ne sont plus des vacances ! Bien sûr, je lui transmettrai que vous allez bien et… il vous manque aussi ? Dites, vous a-t-il prévenue que Sébastien rentrait d’Argentine ? Vous n’étiez pas au courant ? Que dites-vous ? Il peut vous envoyer des messages sur le Net ? Je le lui dirai…

Chic ! le frère de Valentin, le chasseur de dinosaures, avait fini sa mission et était rentré en France, quelle bonne nouvelle !

Gustave se précipita vers Peggy-Jeanne dès qu’elle entra dans le hall de la pension.
— Il faut que je te parle. Depuis hier tu m’évites. Viens !
Il l’entraîna vers les marches de l’escalier, la tint par la main et la guida jusqu’à la courette qui servait essentiellement pour l’arrivée des marchandises.
— Mettons-nous là…
Il lui désigna une excroissance du mur qui présentait un entablement sur lequel ils s’assirent. Gustave tourna et retourna le revers de son bermuda, le nez collé au sol, l’œil battu d’un chien qui affronte le courroux de son maître :
— Que se passe-t-il ? Tu as l’air de m’en vouloir. Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal ?
Gustave avait pris une contenance si lugubre que Peggy-Jeanne esquissa un écart.
Scène de dernier devoir… un corbillard noir… une Marche Funèbre accompagne le convoi… Requiem, la-la-la-la-la…
— Hier, continua-t-il de la même voix endeuillée, tu n’as cessé de me battre froid… Pourquoi ?
Zoé sortit vite du cortège mortuaire et enfila ses gants de boxe.
— Pourquoi ? Dis-moi plutôt pourquoi tu m’avais quittée si brusquement le soir de la foire ? Tu as modifié ton comportement dès l’instant où tu t’es mis à penser à Zoé et à me parler d’elle…
— Zoé ? Ah, Zoé…
Gustave eut une seconde de flottement, que diable venait faire Zoé dans cette histoire ? Subitement, il se rappela que les deux jeunes filles avaient passé un moment en tête-à-tête, hier.
Zoé aurait-elle raconté à Peggy-Jeanne leurs amours des étés derniers ? Lui aurait-elle dit ce qu’ils avaient fait ensemble ? Bon sang ! Zoé était si bavarde ! Pas étonnant donc que Peggy-Jeanne fasse sombre mine ! Il avait tout de suite deviné qu’elle était plutôt puritaine, un peu oie blanche. Mais… quels détails Zoé avait-elle pu lui confier ?
Naufrage… Touché, coulé ! Gustave se noyait.
Il demanda :
— Que t’a-t-elle raconté ?
— Zoé ? Rien… Aurait-elle dû me raconter quelque chose ?
— Il n’y a strictement rien entre Zoé et moi, on se connaît à peine, je t’assure !
Pas de bouée à l’horizon… Comment allait-il s’en sortir ?
Un sucre rose emplit sa bouche :
— Revenons-en à nous…
— Zut ! J’en ai ras la tasse ! On discutera de cela une autre fois… Je n’ai pas encore pris mon petit déjeuner et j’ai hâte de me baigner…

Peggy-Jeanne était irritée à présent.
Et déçue… « Je suis allergique aux mecs pleurnichards. Quelle flaque ! Je le trouvais si bien l’autre jour… »

La salle à manger était presque pleine. Dans un coin, la sinistre Madame Gassal s’en prenait, une fois de plus, à l’un des serveurs.
Peggy-Jeanne s’assit en face de Zoé.
— Eh bien ! fit cette dernière, tu en fais une tête ! Tu as dérapé sur tes pantoufles ce matin, ma belle ?
Ce « ma belle » encore ! C’était agaçant à la fin.
— S’il te plaît, j’aimerais bien que tu ne me dises plus « ma belle » !
— Ah oui ? dit Zoé, en riant comme d’une bonne blague. Tu n’as pas répondu… Pourquoi tu fais cette triste mine ? Tu as mal dormi ou quoi ?
— Non… j’ai un peu mal à la tête, mentit-elle à demi.
Elle anticipait à peine. C’est sûr, elle n’allait pas tarder à avoir mal à la tête avec les « ma belle » de Zoé !
— Tu étais trop au soleil hier, ma belle !
Et voilà !
— Flûte-put-zut… ! Cesse de dire « ma belle », c’est ça qui me fait mal à la tête !
— C’est très mauvais le soleil à fortes doses, continua Zoé qui n’écoutait qu’elle-même. Il faut que tu mettes une crème solaire protectrice. Une bonne dose toutes les heures, quand tu t’exposes, tu verras, cela protège efficacement. Et couvre-toi la tête. Moi je ne sors pas sans mettre de chapeau.
Du coup, Peggy-Jeanne se sentit de plus mauvaise humeur encore et ses neurones commencèrent à tricoter des barbelés.
— Eh, arrête !
Zoé n’arrêtait pas. Elle éparpillait mille conseils qu’elle assurait plus efficaces les uns que les autres.
Peggy-Jeanne broyait la nappe avec une nervosité croissante ce qui lui donna des idées : étouffer Zoé avec, ou plutôt la pendre ? L’autre ne s’apercevait de rien. La dernière goutte de thé enfin bue, Zoé se leva, et Peggy-Jeanne laissa filtrer un long soupir de soulagement. Le sang revint couler normalement dans ses veines, la nappe retrouva sa place légitime sur la table, on avait évité le pire.
Elle était encore à table, enfin détendue, lorsque Zoé revint, apportant deux crèmes que, d’après elle, il était obligatoire d’employer…
Le teint brusquement poussiéreux de Peggy-Jeanne, ses poings serrés sur le bout de nappe à nouveau écrabouillé auraient pu alerter un quelconque observateur de la scène. Il aurait su, lui, qu’une guerre nucléaire allait s’abattre sur cette partie de la salle à manger.
L’une des deux protagonistes succombera, fatalement : Zoé allait-elle payer ?
Peggy-Jeanne vociféra :
« Je ne veux aucune crème ! »

baguette magique

L’explosion était imminente ; les petites fées vérifiaient le contenu de la trousse des premiers secours :
— Compresses stériles ?
— C’est bon !
— Sparadrap ?
— C’est bon !
— Lotion antiseptique ?
— C’est bon !
— Couverture de survie ?

*

Peggy-Jeanne allait sans doute sortir ses mitraillettes, mais ce fut un éclat de rire qui explosa ; probablement une larmichette, un fragment de mémoire de l’aïeule Peggy, qui avait traversé les âges…

Le ridicule, l’absurde, le grotesque de la situation furent décisifs.
Trop polie et trop charitable pour se laisser aller à un acte guerrier ou même au coup de poing vengeur sur le nez de Zoé dont elle rêvait, Peggy-Jeanne rit si fort qu’elle en eut les larmes aux yeux.
Zoé resta interdite… quelques secondes. Du cambouis collait désespérément à ses méninges.
Elle ne comprenait pas, ne voyait rien, n’avait même pas entendu le vigoureux « Je ne veux aucune crème ! » fort, net, distinct, mais ce fut comme si elle avait des bouchons dans les oreilles.
Elle avait décidé que son « amie » devait mettre une crème, et elle n’avait pas dit son dernier mot. Elle lui parla d’une autre gamme d’onguents aux extraits naturels qui conviennent à tous les types de peau. « Va à la pharmacie à Villeneuve-Loubet, ils doivent en avoir » et patati et patata…

Peggy-Jeanne avait perdu cette bataille. Elle était à bout.
L’acharnement de l’autre eut raison d’elle ; elle se leva vivement en bousculant sa chaise qui heurta la table de madame Gassal qui, surprise, se mit à hurler.

La débâcle… Peggy-Jeanne sortit, presque en courant, de la salle à manger.
Elle entendit derrière elle la voix indignée de Zoé : « Eh bien ! Qu’est-ce qui t’arrive ? »

La journée commençait mal.


→ Chapitre 8 | ← Retour à la rubrique

Logo Intéa
Mise en page & soutien technique :
Intéa, IA complice.