PEGGY-JEANNE, Le poker des fées
Niki Vered-Bar
Le fils du jardinier
Chapitre 4
Les petites fées, assises autour d’une table ronde, se préparaient :
c’était l’heure de leur partie de cartes. Mirabelle les mélangea, Prune
tira sur la nappe pour en effacer les plis, les autres attendaient.
De temps en temps, l’une d’elles jetait un coup d’œil pour vérifier
ce qui se passait en bas.
*
Peggy-Jeanne emprunta le même sentier que la veille, mais
aujourd’hui elle prenait son temps, humait les senteurs marines,
absorbait le rythme du souffle haletant de la mer.
« Ça y est, se dit-elle avec joie, la voilà ! »
Il était tôt, le soleil ne libérait pas encore toute la fougue de ses
rayons. Peggy-Jeanne ôta ses espadrilles, les mit dans le sac qu’elle
portait en bandoulière et, les mains dans les poches de son short,
les pieds dans les premières vagues, elle entama une longue marche
parallèle à la mer, escaladant parfois des rochers lisses incrustés de
coquillages.
Elle traversa des plages surveillées encore peu côtoyées
à cette heure matinale et en profita pour se lancer dans des vagues
flegmatiques et nager jusqu’au bout de son souffle. Puis, reprenant
sa promenade, elle croisa des pêcheurs sur des pontons verdis par
les algues, continua jusqu’à ce qu’elle arrive à un mur de rochers
coupants qu’elle ne comptait pas du tout escalader. Trop de risques !
Elle rebroussa chemin en croisant beaucoup plus de monde.
Les plages devenaient turbulentes maintenant et elle hâta le pas.
De retour à « sa » plage, elle sortit de son sac une serviette de bain
qu’elle étala sur le sable. Elle s’allongea de tout son long, creusant
et modelant le sable aux formes de son corps en frémissant d’aise.
D’autres personnes s’étaient installées aux alentours, mais elles
n’étaient ni nombreuses ni gênantes.
— Attention ! fit une voix qui la tira brutalement de sa quiétude. Attention, vous vous trouvez juste au-dessous d’un trou…
Elle se leva immédiatement, sans comprendre. Un jeune homme
s’approchait d’elle en riant, le bras levé vers le ciel.
— Quel trou ? demanda-t-elle contrariée, en suivant du regard la
direction qu’il désignait.
— Le trou dans l’ozone, bien sûr !
— Vous vous croyez malin ? Vous m’avez fait peur !
— Allons, ne m’en voulez pas, je plaisantais. Je vous ai aperçue
hier soir, vous êtes en vacances au Cocotier ?
Peggy-Jeanne était furieuse de cette intrusion. « Qu’il s’en aille ! »
Le jeune homme se présenta, il s’appelait Gustave :
— Je me mets à côté de vous, cela ne vous dérange pas, n’est-ce
pas ? demanda-t-il en dépliant une serviette qu’il étendit à quelques
dizaines de tout petits centimètres de distance de la sienne.
Il n’attendit pas de réponse et fit semblant de ne pas remarquer sa
moue cannibale.
— Quelle chaleur ! La mer est bien tentante… Ah, je succombe !
Voulez-vous vous baigner avec moi ?
Elle répondit avec agacement qu’elle avait déjà longuement nagé,
et que cette plage n’était pas surveillée. Il haussa les épaules : un
sportif de sa trempe était au-dessus de ces craintes. Il courut vers
les vagues et nagea énergiquement un quart d’heure en affinant
consciencieusement son style : il était sûr que Peggy-Jeanne le
regardait. Effectivement, elle ne le quittait pas des yeux et s’amusait
de constater que le jeune homme restait prudemment dans l’eau peu
profonde ; on voyait le fond qu’il pouvait certainement toucher de ses
bras ; néanmoins, elle dut reconnaître qu’il était bon nageur.
Il revint vers elle, tout ruisselant, frais, joyeux :
— Elle est bonne ! J’ai croisé des dauphins énormes !
Elle entra dans son jeu, oubliant le déplaisir de la rencontre :
— Sans blague ? Vous avez bavardé avec eux ? J’ai aussi aperçu
deux ou trois baleines…
— Bien sûr ! Que pensez-vous de celle qui s’emmêle les
nageoires ?
Ils rirent ensemble. Leur incohérence vagabondait sur le même
boulevard.
— Je m’appelle Peggy-Jeanne, dit Peggy-Jeanne. Êtes-vous ici
en vacances ?
— Je suis né dans la région, mais j’habite la capitale depuis
quelques années. Je viens ici tous les ans, un peu par plaisir, surtout
pour mes occupations professionnelles.
— C’est lui le fils du jardinier ?
Les autres petites fées répondirent « oui », sans enthousiasme.
*
Il lui parla de la boutique d’antiquités qui lui appartenait. L’une
des plus renommées de Paris, affirma-t-il. Cela marchait si bien qu’il
projetait d’agrandir la superficie du magasin en réalisant l’achat et
l’aménagement de l’étage du dessus. Un investissement énorme !
D’autant plus astreignant qu’il venait tout juste de se trouver un
coquet petit appartement dans le seizième…
Rien que ça ! pensa Peggy-Jeanne. Quel fanfaron ! »
Sa passion pour les antiquités dominait tout, dit-il encore :
— Il n’y a pas de foire où je ne sois allé. En cette saison, il y
a de nombreuses brocantes dans la région. Tous les dimanches, il
y en a une à Villeneuve-Loubet. Je vous y accompagnerai si cela
vous intéresse, je connais l’ensemble des exposants. On peut souvent
choper de bonnes occasions… Aujourd’hui, c’est la Foire au Troc à
Mouans-Sartoux. Il ne faut pas manquer cette manifestation, elle est
unique. On y trouve de tout : brocante, artisanat, vente de produits
de la région. J’irai cet après-midi. Êtes-vous libre ? Je peux vous y
conduire si cela vous tente.
Peggy-Jeanne accepta aussitôt. Elle adorait chiner.
Ils convinrent de se retrouver l’après-midi.
Plus tard, elle consentit à se baigner en sa compagnie, à condition
de rester « là où on a pied. »
Ils redevinrent des enfants. Beaucoup d’adultes abandonnent leur
âge sur le sable au moment de se baigner dans la mer. Gustave et
Peggy-Jeanne jouèrent dans les vagues. Ils dénichèrent deux beaux
bernards-l’hermite qu’ils reposèrent au fond de l’eau, puis il lui proposa
d’apprendre la nage « à la moule » et se mit à faire le pitre de telle
façon qu’il avala malencontreusement un bon litre d’eau salée.
Tel un héros blessé et sottement humilié, toussant et crachant, c’est au bras
de sa nouvelle amie qu’il se laissa conduire jusqu’à sa serviette.
Il toussa encore, un brin fâché du rire qu’elle laissait gambader jusqu’à
lui ; finalement, heureux de tant l’amuser, il finit par rire plus fort
qu’elle. Elle examina ce garçon un peu absurde au visage cramoisi
de s’être étranglé, ce corps bronzé étoilé de gouttelettes vives, la
chevelure très sombre moirée par le bain, la mèche collée sur le front,
les yeux clairs couleur de miel épicé.
« Pas mal ! » pensa-t-elle.
Ils restèrent un moment, étendus sous le soleil, silencieux.
— C’est mon premier jour, annonça Peggy-Jeanne en se relevant,
il vaut mieux que je ne m’expose pas trop et que je rentre.
— Veux-tu que je te rLe jeune homme se présenta, il s’appelait Gustave :
— Je me mets à côté de vous, cela ne vous dérange pas, n’est-ce
pas ? accompagne ?
— Penses-tu, c’est tout près ! À tout à l’heure…
Elle prit ses affaires et s’éloigna, tandis que Gustave s’écrasait
contre le sable. Peggy-Jeanne lui plaisait bien, il avait tout de suite
eu envie de la courtiser. « Jolie… un peu trop spartiate peut-être,
songea-t-il. Le genre de fille à avoir des principes… »
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