PEGGY-JEANNE, Le poker des fées
Niki Vered-Bar

Un chasseur de dinosaures

Chapitre 18

Après sa rencontre avec Peggy-Jeanne, Gustave était resté en plan dans un coin du jardin. Complètement déboussolé. Blessé dans son amour-propre, oui, mais pas vraiment fâché. Le ton de la jeune fille disant que ce n’était pas elle la coupable était celui de la sincérité, impossible de se méprendre.
« Peggy-Jeanne ne serait donc pas responsable du coup des doigts coincés de Zoé ? Quelle histoire ! »

Il reprit son chemin, la jeune luxembourgeoise l’attendait à son hôtel. La nuit dernière, après avoir dansé, mangé, bu et flirté à satiété, ils avaient quitté Nice aux petites heures tièdes du matin. Ils avaient passé la nuit à faire l’amour, et elle n’accepta de le voir s’en aller qu’en échange de sa promesse de ne prendre que quelques affaires au Cocotier pour se changer et de revenir dans les plus brefs délais.
Les débordements de la jeune fille l’amusaient. Sa voracité était sans borne, elle croquait son nouvel ami à pleines dents, d’une boulimie avide et enfantine.

En s’éloignant de la pension, Gustave pensait à elle, plus égotiste que jamais, fier de ses atouts de beau mâle séduisant…
— Excusez-moi, est-ce bien ici le Cocotier ?
Un jeune homme au sourire sympathique venait de l’aborder.
— Oui, c’est au bout de l’allée…

baguette magique

— Je n’en peux plus, gémit Mirabelle, je quitte le jeu. Et pourtant, regardez, j’avais une tierce ! Et puis j’ai drôlement faim. L’une de vous désire-t-elle un morceau de cake au chocolat ?
Elles firent une pause pour se sustenter un peu.
— Quelle partie, hein ?
— Oh là là ! C’est la première fois que nous avons un enjeu pareil ! Qu’en dis-tu, Prune ?
Prune avait emprunté les jumelles.
— Ah ! Regardez ! Il est quand même arrivé celui-là ! fit-elle, en désignant le jeune homme qui entrait au Cocotier.

*

Le nouvel arrivant se rendit à la réception et demanda si mademoiselle Peggy-Jeanne se trouvait là.
On venait de la voir quitter la salle à manger, peut-être était-elle dans sa chambre ? Elle y était. Philibert lui téléphona et la prévint qu’un jeune Sébastien l’attendait dans le hall.

— Oh ! Dites-lui que j’arrive tout de suite !
Les yeux de Peggy-Jeanne chantèrent de plaisir.
— Tante Jeanne s’il te plaît, tu me laisses la place ?
— Bien sûr, fais comme si je n’étais pas là…
La cohabitation avec Tante Jeanne dans le même corps physique se faisait sans difficulté. La plupart du temps sa tante dormait ; ainsi, elle lui laissait toute la place et se faisait discrète.
Peggy-Jeanne se recoiffa, vaporisa derrière les lobes des oreilles et aux ourlets des poignets une légère touche d’eau de parfum, et descendit les marches à grande vitesse.
Sébastien était debout devant la grande baie vitrée. Il n’avait pas vu Peggy-Jeanne depuis son départ pour l’Argentine. Il se retourna et lui sourit.

Avant son voyage ils se voyaient peu, mais toujours avec plaisir. Avec beaucoup de plaisir. Elle était étudiante et bûchait sec alors que lui venait d’obtenir ses diplômes et s’absentait déjà pour participer à des fouilles paléontologiques. Après six mois de chantiers européens de moindre importance, il collabora à ce projet de l’Argentine.
Il réalisait enfin un vieux rêve de gosse, celui de devenir chasseur de dinosaures…
Cette expédition s’était avérée fabuleuse, incroyable et il ne pourra jamais oublier les émotions des paléontologues, archéologues et chercheurs divers, lorsque des fragments d’os de reptiles de l’ère secondaire firent leur apparition du plus loin de la mémoire de la Terre.
Depuis des années, cette région de la Vallée de la Lune était réputée pour abriter des fossiles âgés de plus de cent cinquante millions d’années.
Mais nul n’escomptait y découvrir le squelette entier du plus énorme et du plus ancien tyrannosaure jamais répertorié.
Quelle fierté d’avoir participé à cette découverte !
Peggy-Jeanne et lui se firent la bise, heureux de se retrouver.
— Tu es belle, dit Sébastien, comme tu es bronzée !
— Le soleil de l’Argentine ne t’a pas oublié non plus ! On dirait Indiana Jones !
Ils rirent, un peu intimidés et très bêtes.
— Viens, dit Sébastien, on va se promener.
Peggy-Jeanne le guida jusqu’à la plage sauvage. Elle pensa l’amener jusqu’à sa petite aire de plage mais se dit qu’ils risquaient de découvrir sa tante ou plutôt son corps physique, puisque…
« Tu ne penses pas que je suis restée là-bas, quand même ! » s’offensa Tante Jeanne. « En tout cas, ne crains rien, toi et Sébastien pouvez aller à la petite crique. » Elle se rendormit.
Tranquillisée, Peggy-Jeanne l’y conduisit. Ils s’assirent sur le sable brûlant, face à la mer qui avait repris ses reflets bleutés : en effet, le ciel avait récupéré tout son azur d’été. Ils discutèrent longuement. Il lui raconta quelques-unes de ses mésaventures argentines, elle lui relata des épisodes de ses études et du début de sa vie professionnelle.
— Combien de temps resteras-tu sur la Côte d’Azur ?
demanda-t-elle.
— Quelques jours. J’ai hâte de revoir mes parents et mon frère. Il me parle souvent de toi dans ses lettres. Vous vous entendez bien tous les deux !
— C’est vrai. Valentin est un garçon sensationnel, et j’éprouve beaucoup d’amitié pour lui.
— Oui… il m’a souvent manqué à moi aussi.

Sébastien l’invita dans une pizzeria de la ville. Peggy-Jeanne ressentait une grande quiétude, un silence de l’esprit qui lui faisait du bien. Sa vie redémarrait. Elle émergeait d’une tourbe insalubre, et la présence de Sébastien agissait comme un goutte-à-goutte vital et dynamisant. Tout redevenait calme. Un enchantement les unissait. Elle avait envie de fermer les yeux, de s’abandonner entièrement à ces instants dorés, de s’évanouir dans le sourire chantant de Sébastien. Il la contemplait :
— J’aime beaucoup tes yeux…
Elle sursauta. Cela lui rappelait Gustave et ce qu’il disait à propos de la musique de ses yeux. Il remarqua la moue sur son visage et s’en inquiéta :
— Que se passe-t-il ? Aurais-je dit quelque chose que je n’aurais pas dû dire ?
— Ce n’est rien. Tu as prononcé des mots qui m’ont rappelé quelque chose.
— Cela ne semble pas être un bon souvenir ?
— Non, effectivement. Je veux dire… à ce moment-là, ce n’était pas déplaisant, mais plus tard, je…
Elle n’acheva pas sa phrase.

Il comprit qu’elle ne tenait pas à livrer des détails, c’était probablement trop tôt ou trop frais. Mais Sébastien se promit de tout savoir et de lui gommer cette ombre.
Elle eut, comme ça, des absences à plusieurs moments de la journée. Il le lui fit remarquer, elle s’excusa et lui avoua avoir vécu des moments pénibles ces derniers jours. « Je t’en parlerai » promit-elle et elle ajouta vite, avec appréhension :
— Quand rentreras-tu ?
— Où ? À Nice ? À Paris ?
Elle ne souhaitait pas qu’il la quitte, elle avait envie qu’ils restent encore ensemble. Il sourit. À nouveau, il découvrit dans le flou de ses yeux une anxiété, une crainte qui l’émut profondément.

Il n’avait aucun projet précis pour son séjour sur la Côte. Il était arrivé la veille à Nice, chez un ami qui passait ses vacances aux États-Unis et lui avait laissé son logement et sa voiture. Rien ne le retenait nulle part.
Il promena son regard sur le paysage :
— Cette région est belle…
— Oui. Veux-tu que nous allions au parc forestier de Vaugrenier ? On dit que c’est un endroit merveilleux.
Ils y allèrent et restèrent jusqu’au soir, apprécièrent l’harmonie de la nature verte et boisée, effectuèrent une partie du parcours de santé en ponctuant les exercices physiques de fous rires géants et restèrent de longs moments assis sur l’un des bancs à discuter de tout et de rien. Bref, ils parlèrent de tas de choses qui rebondissaient comme des bulles et tissaient tout doucement autour d’eux une toile d’étamine douce, bienveillante et tranquille.

Lorsqu’ils se quittèrent devant la pension, il déposa sur sa joue un baiser amical et tendre.


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