Deux vrais amis vivaient au Monomotapa :
L'un ne possédait rien qui n'appartînt à l'autre :
Les amis de ce pays-là
Valent bien, dit-on, ceux du nôtre.
Une nuit que chacun s'occupait au sommeil,
Et mettait à profit l'absence du soleil,
Un de nos deux Amis sort du lit en alarme ;
Il court chez son intime, éveille les Valets :
Morphée avait touché le seuil de ce palais.
L'ami couché s'étonne, il prend sa bourse, il s'arme ;
Vient trouver l'autre, et dit : Il vous arrive peu
De courir quand on dort ; vous me paraissez homme
A mieux user du temps destiné pour le somme :
N'auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu ?
En voici. S'il vous est venu quelque querelle,
J'ai mon épée, allons. Vous ennuyez-vous point
De coucher toujours seul ? Une esclave assez belle
Était à mes côtés ; voulez-vous qu'on l'appelle ?
Non, dit l'ami, ce n'est ni l'un ni l'autre point :
Je vous rends grâce de ce zèle.
Vous m'êtes en dormant un peu triste apparu ;
J'ai craint qu'il ne fût vrai, je suis vite accouru.
Ce maudit songe en est la cause.
Qui d'eux aimait le mieux ? Que t'en semble, lecteur ?
Cette difficulté vaut bien qu'on la propose.
Qu'un ami véritable est une douce chose !
Il cherche vos besoins au fond de votre cœur ;
Il vous épargne la pudeur
De les lui découvrir vous-même.
Un songe, un rien, tout lui fait peur
Quand il s'agit de ce qu'il aime.
Deux amis habitaient un pays imaginaire.
Ils partageaient leurs biens et, solidaires,
Mettaient en commun toutes leurs affaires :
"Tout ce qui est à moi est à toi,
Après tout, nous vivons sous le même toit !"
Mais la réalité est tout autre ma foi,
Des amis on en a, mais de vrais, nenni,
Cette fable n'est qu'une jolie utopie,
La Fontaine le savait bien, lui qui en pâtit.
Les amis se comptent sur un doigt
Si tant est qu'on ait la décence bien fondée
De bien donner et ne rien demander.
Amis, si j'écris ainsi veuillez ne pas m'en vouloir,
Je sais ce que je vous dois,
Je n'ai l'esprit triste ridé de noir
Que par désir ingrat d'encor plus recevoir...