Fables de Jean de la Fontaine
du XVIIe siècle au XXIᵉ siècle
Niki Vered-Bar

Les deux amis

Les deux amis
Illustration Gustave Doré

Jean de La Fontaine

Deux vrais amis vivaient au Monomotapa :
L'un ne possédait rien qui n'appartînt à l'autre :
Les amis de ce pays-là
Valent bien, dit-on, ceux du nôtre.

Une nuit que chacun s'occupait au sommeil,
Et mettait à profit l'absence du soleil,
Un de nos deux Amis sort du lit en alarme ;
Il court chez son intime, éveille les Valets :
Morphée avait touché le seuil de ce palais.
L'ami couché s'étonne, il prend sa bourse, il s'arme ;
Vient trouver l'autre, et dit : Il vous arrive peu
De courir quand on dort ; vous me paraissez homme
A mieux user du temps destiné pour le somme :
N'auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu ?
En voici. S'il vous est venu quelque querelle,
J'ai mon épée, allons. Vous ennuyez-vous point
De coucher toujours seul ? Une esclave assez belle
Était à mes côtés ; voulez-vous qu'on l'appelle ?
Non, dit l'ami, ce n'est ni l'un ni l'autre point :
Je vous rends grâce de ce zèle.
Vous m'êtes en dormant un peu triste apparu ;
J'ai craint qu'il ne fût vrai, je suis vite accouru.
Ce maudit songe en est la cause.

Qui d'eux aimait le mieux ? Que t'en semble, lecteur ?
Cette difficulté vaut bien qu'on la propose.
Qu'un ami véritable est une douce chose !
Il cherche vos besoins au fond de votre cœur ;
Il vous épargne la pudeur
De les lui découvrir vous-même.
Un songe, un rien, tout lui fait peur
Quand il s'agit de ce qu'il aime.

Niki Vered-Bar

Deux amis habitaient un pays imaginaire.
Ils partageaient leurs biens et, solidaires,
Mettaient en commun toutes leurs affaires :
"Tout ce qui est à moi est à toi,
Après tout, nous vivons sous le même toit !"

Une nuit, alors que dans la maisonnée
Grâce à Morphée tout le monde dormait,
L'un des amis se réveille brusquement
Et court dans la chambre de l'autre, bruyamment,
Réveillant ainsi tous les habitants.
Tiré de son sommeil en sursaut, surpris,
L'ami s'étonne et sort du lit,
Il prend son portefeuille, sa carte de crédit ;
Va vers l'autre et lui dit : "que se passe-t-il ?
En pleine nuit, cette agitation, ce bruit...
As-tu une dette d'argent ? Tiens, prends ce qu'il te faut.
T'aurait-on menacé ? Sois tranquille,
On va démolir ces zigotos.
(Je suis ceinture noire de judo).
Veux-tu finir la nuit, une femme à tes côtés ?
Je connais une jeune fille complaisante et jolie
Qui en ta compagnie et dans ton lit se plairait ;
Si je l'appelle, elle viendra vite, je le sais !"
"Non, dit l'ami, je te remercie de ton beau dévouement
Mais il ne s'agit pas de cela : je dormais profondément
Et je rêvais que tu n'allais pas bien ; j'en étais inquiet,
Ce rêve semblait vrai et m'effrayait :
J'ai voulu te voir aussitôt pour vérifier."
L'amitié trouble et brouille les cœurs
Comment reconnaître le meilleur ?
Qui des deux aimait le mieux ?
Que t'en semble, lecteur ?
Qu'il est bon d'avoir un vrai ami !
Il est prêt à combattre vos ennemis,
Il devine vos peines, craint pour vous,
Frémit d'un rien et vous donnera tout.

Mais la réalité est tout autre ma foi,
Des amis on en a, mais de vrais, nenni,
Cette fable n'est qu'une jolie utopie,
La Fontaine le savait bien, lui qui en pâtit.
Les amis se comptent sur un doigt
Si tant est qu'on ait la décence bien fondée
De bien donner et ne rien demander.
Amis, si j'écris ainsi veuillez ne pas m'en vouloir,
Je sais ce que je vous dois,
Je n'ai l'esprit triste ridé de noir
Que par désir ingrat d'encor plus recevoir...


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